
Une illustration inspirée d’un podcast entendu ce matin.
L’intro-fiction de Charles Pépin :
« Je voudrais vous raconter l’histoire de la poésie ou plutôt, l’histoire d’un homme, d’un jeune homme.
La poésie, il croit que ce n’est pas pour lui, il croit qu’il faut savoir, qu’il faut avoir appris, avoir chez soi de vieux livres reliés et dans la poche de sa veste en velours un petit carnet de cuir.
Il croit qu’il faut maîtriser les mots, connaître des mots compliqués et avoir en soi des choses complexes à faire sortir avec des mots compliqués. Et puis un jour, tout change..C’est un jour bizarre, un jour de désillusion mais pas seulement, il s’est pris un coup, un coup à l’ego mais il ne l’a pas si mal pris, c’est comme un coup sur la tète qui l’a rendu un peu présent, et ce jour-là, il commence à voir, à regarder autour de lui. Ce petit crachin n’est pas si dégueulasse, c’est comme si le monde se mettait à flotter dans une lumière nouvelle, un peu irréelle, il se sent bien, soudain.
Dans les grandes villes, il ne fait jamais nuit. La nuit est jaune foncée, un jaune d’or et de pisse, la nuit est belle comme la rencontre fortuite d’un lampadaire et d’un nuage de pollution. Il ouvre enfin les yeux. Attentif, enfin, lui qui ne savait qu’être concentré, ou déconcentré
Peut-être que la poésie commence là, dans l’attention la plus simple, au monde, à soi-même, à ses sensations, à tout ce qui vibre au cœur de la présence, à tout ce qui vient à apparaître, tout ce qui surgit et se détache, nous fait signe peut-être, visible sur le fond de l’invisible. Il ouvre les yeux : le monde est là, et lui aussi.
Et puis ce corps, le sien ; il l’avait oublié. « Nous ne savons pas ce que peut un corps », écrit Spinoza. Il n’a pas lu Spinoza mais il est d’accord avec lui. Nous ne savons pas ce que peut un corps : un corps qui sent, perçoit, reçoit la vibration du monde.
Recevoir la vibration du monde, que le corps s’en fasse la chambre d’écho, et que les mots se mettent à vibrer, à danser, à s’embrasser, à faire l’amour furieusement, qu’ils arrêtent de raisonner et se mettent à résonner.
Et si c’était un abandon, la poésie, le contact avec plus grand que soi, autre que soi, autre que soi qui rentre en soi, et devient plus soi que soi.
Il n’y a rien à savoir, au fond, et ce qu’il y a au fond de moi, c’est peut-être le monde qui prend toute la place.
Les mots compliqués jamais ne délivreront le secret de la poésie, le secret de la disponibilité. Il se sent bien, maintenant, tout à sa joie d’être enfin là. Sa disponibilité est une curiosité. Etre disponible à ce que l’on n’attend pas, et si c’était cela, la poésie ? »